Plan de neutralisation des FDLR. Quelles chances de paix pour le Congo sans réconciliation entre Rwandais?

(Le journaliste Nicaise Kibel’Bel Oka. Photo Archives Les Coulisses).
Géopolitique de la violence armée. C’est la stratégie adoptée par le régime de Kigali. Grâce à la manipulation, Kigali utilise l’argument des FDLR comme fonds de commerce. Or, les FDLR ne sont pas sur le territoire rwandais mais l’armée rwandaise a envahi le Congo. C’est deux choses différentes. Cette nuance, vraisemblablement, les négociateurs congolais ne la connaissent pas. En signant le plan de neutralisation des FDLR, le gouvernement congolais semble tomber dans le piège du Rwanda. Nicaise Kibel’Bel Oka, journaliste d’investigation et spécialiste des questions de sécurité et défense, répond aux préoccupations de l’opinion à travers cette interview avec Congoguardian.
Congoguardian : Kinshasa et Kigali viennent de signer, sous la facilitation angolaise, un accord prévoyant la mise en place d’un mécanisme conjoint de vérification, un dispositif qui n’est pas nouveau dans la récurrente crise sécuritaire à l’Est de la RDC et dans la région des Grands lacs. De quelle efficacité ce mécanisme n’a-t-il jamais été depuis près de 30 dernières années ?
Nicaise Kibel’Bel Oka : En 2009, le général de brigade Gisenyimana (Armée rwandaise) estimait : « Le Rwanda n’a plus aucun prétexte pour chasser les FDLR. Nous sommes venus dans le cadre des opérations militaires conjointes ». Le général John Numbi pouvait se permettre de déclarer : « Voici une guerre qui se termine parfaitement bien ». (Forum des As N°3304 du mardi 3 mars 2009). Je commence par cette information livrée in tempore non suspecto. Cela n’a pas empêché le Rwanda de soutenir une nouvelle rébellion (M23). Il faut simplement souligner qu’il n’y a pas la volonté politique de la part de Kigali de vivre en paix avec ses deux voisins (la RDC et le Burundi). Cela est dû à des objectifs diamétralement opposés et qui éloignent toutes les chances d’un retour à la paix et d’un vivre ensemble harmonieux.
- : En quoi consiste ce nouveau mécanisme qui le rendrait différent des précédents, même ceux qui étaient plusieurs fois passés sous l’égide de l’ONU à travers la MONUSCO ?
N.K.O. : Ce « nouveau » mécanisme consiste au retour de la partie rwandaise qui avait quitté la RDC aussitôt la RDF a appuyé le M23 dans l’agression du Congo. Aujourd’hui, ils reviennent. Voilà pourquoi le qualificatif « renforcé ». En réalité, cela ne change rien dans la démarche du Rwanda, et donc, dans la recherche de la paix. Parce que bien que présents dans le Mécanisme de vérification ad hoc, le Rwanda assiège notre territoire depuis 1996 tout en le niant quand cela lui plaît.
- : Selon le nouvel accord de paix, la RDC prend formellement l’engagement de neutraliser les FDLR. Pour les analystes, cet engagement est un aveu de l’accusation du Rwanda selon laquelle le Gouvernement congolais soutiendrait ces forces négatives rwandaises contre leur pays. Qu’en dites-vous ?
N.K.O. : D’abord, il y a un fait à ne pas nier. Il y a des réfugiés Hutu au Congo. Qu’ils se prénomment FDLR est un autre fait indéniable. Qu’on les qualifie des « Forces négatives », il y a là matière à débat. Que veulent les FDLR ? Là est toute la problématique des Hutu rwandais se trouvant sur le territoire congolais. Naturellement, je suis d’avis que le gouvernement congolais a fauté en s’engageant à « neutraliser » les FDLR sans contrepartie en retour qui serait le retrait des troupes rwandaises du Congo assorti d’une autre clause que Kigali arrête de créer des rébellions au Kivu et de les soutenir, en l’occurrence le M23. Car, voyez-vous, les FDLR ne sont pas sur le territoire rwandais mais l’armée rwandaise a envahi le Congo. C’est deux choses différentes. Cette nuance, vraisemblablement, les négociateurs congolais ne la connaissent pas.
- : D’autres analystes pensent que le Rwanda remporte, par cet accord, une belle victoire diplomatique en ce que la présence de ses troupes en territoire congolais se trouve légitimée, en sorte que la RDC n’a plus à se plaindre d’une agression. Votre réaction à une telle position ?
N.K.O. : C’est une question des rapports de force. Sur ce point, la RDC ne sait pas relever le défi depuis 30 ans. L’agression rwandaise est bel et bien actée. Mais posons la question au Rwanda : « Depuis juin 2021 que la RDF occupe une grande partie de la province du Nord-Kivu, combien de FDLR a-t-elle neutralisé ? ». Si le Rwanda est incapable de présenter les statistiques vérifiables mais continue à conquérir des localités congolaises, cela signifie que la question des FDLR n’est que l’arbre qui cache la forêt. L’on s’étonne que les Congolais ne puissent pas comprendre la géopolitique de la violence armée.
- : À peine cet accord signé, on signale de nouveaux mouvements de troupes sur terrain ainsi que des affrontements et des prises de contrôle de nouveaux territoires de part et d’autre. Quelle chance de succès doit-on accorder à ce nouvel accord ?
N.K.O. : Aucune chance. Cela ressemble à un marché des dupes. Ce qui fait mal, c’est le fait que cette stratégie rwandaise date depuis Laurent-Désiré Kabila. C’est un boulet au pied de la RDC. Kigali ne comprend que le langage de la violence armée.
Il y a un problème sérieux au niveau des intelligences congolaises. Et ce sont les conséquences d’un pays qui vit du présent et qui mène des guerres du retard. Notre pays a cette qualité : il n’anticipe jamais, ne projette jamais dans le temps et dans l’espace son avenir.
- : Comment appréciez-vous les commentaires sur les honneurs militaires rendus à Goma au Ministre rwandais des affaires étrangères par le Gouverneur militaire du Nord-Kivu ?
N.K.O. : Voilà encore le genre de distraction au sommet des institutions. Cela me rappelle la guerre de tranchée entre Joseph Kabila et le même Vital Kamerhe en 2009. Le Nord-Kivu est dirigé par des militaires. C’est une coutume chez le militaire de saluer son hôte par le « Garde à vous ». Bien plus, la RDC avait l’obligation de créer un climat de détente et de sécurité pour ses hôtes puisque le rencontre se déroulait sur son sol. Il semble que quand Vital Kamerhe se rend au Rwanda, il ne reçoit pas les mêmes honneurs. La question à se poser est celle-ci : « Il se rend au Rwanda en quelle qualité ? ». Il semble aussi que la RDC jouit d’une hospitalité légendaire ! J’apprends aussi que l’Assemblée nationale a délégué une dizaine des députés pour se rendre en Ouganda, un autre agresseur de la RDC. Mauvaise gestion des ambitions politiques malheureusement ce sont des dépenses qui ruinent le Trésor public.
- : selon vous, un voyage d’une délégation de l’Assemblée nationale à Kampala est une perte d’argent ?
N.K.O. : Effectivement. C’est du tourisme politique. Ces pays-là ne sont pas gérés comme le RDC. En Ouganda, le président Museveni gère certains dossiers sensibles avec un cercle très réduit sans associer son Parlement notamment le dossier du Congo. L’on se rappelle du dossier des Éleveurs Hima qui étaient à Karuruma dans le Bashu en territoire de Beni (parc national des Virunga). Le président Museveni a pris une décision d’autorité et les a retournés en Ouganda sans en avoir informé ni demandé l’avis de son Parlement. Des exemples ne manquent pas.
Le président Museveni est toujours convaincu que des « choses sérieuses » ne peuvent jamais être débattues par plus de 10 personnes et espérer des solutions. C’est comme ça qu’il fonctionne.
Je termine par cette sagesse enseignée dans la stratégie militaire : « A Rome, l’expérience de la défaite joue, plus que pour toute autre armée, un rôle fondamental dans l’évolution de la stratégie ». Cela manque à la RDC. Les FARDC restent notre seul espoir à condition…
Entretien à bâtons rompus de Jonas Eugène Kota (Congoguardian) avec Kibel’Bel Oka. Nous vous donnons la vraie information et nous en payons le prix. Soutenez-nous. Votre contribution est très attendue. Contacts utiles : +243 998 190 250 et/ou +243 824 244 844