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RDC. État de siège et l’équation sécuritaire à l’est. Levée ou maintien ? Les vérités à savoir avec Nicaise Kibel’Bel Oka

(Le journaliste Nicaise Kibel’Bel Oka. Photo Les Coulisses).

Pris en otage par des considérations à la fois politiques et pécuniaires, l’état de siège est ainsi victime, dès le départ, d’une mauvaise approche de sa compréhension. Ce qui hypothèque sa gestion dans la recherche de la pacification de l’Est du pays.

C’est, en tout cas, le point de vue de notre excellent confrère et aîné Nicaise Kibel’Bel Oka, dont l’expertise sur la question sécuritaire de l’Est fait désormais autorité.

Nicaise Kibel’Bel soutient que l’état de siège est une mesure salutaire qu’avait prise le chef de l’État et développe une analyse inédite qui embrasse toutes les dimensions de la question sécuritaire de l’est en mettant en exergue surtout le comportement de l’homme, aussi bien le congolais que les impérialistes occidentaux.

Prudent dans les vérités, mais ferme dans ses convictions, le confrère Kibel’Bel note quatre vérités essentielles à prendre en compte dans la compréhension de la situation sécuritaire pour décider du sort de l’état de siège. Découvrons-le dans cette interview accordée à Jonas Eugène Kota de Congoguardian.

Congoguardian : Monsieur Nicaise, la Première ministre vient de séjourner à Goma et à Bunia dans le cadre d’une mission d’évaluation de l’état de siège pour juger de l’opportunité de sa levée ou pas. Actuellement, quelle est l’opinion dominante, au sein de la population de l’Est, sur cet état de siège ?

Nicaise Kibel’Bel Oka : L’on ne peut pas à proprement parler de l’opinion dominante sur cette question sur une population de plus de 10 millions d’habitants. Toutefois, la vitrine présente un groupe de députés nationaux, l’ensemble de députés provinciaux et quelques jeunes surnommés « mouvements citoyens » qui font trop de bruits et élèvent la voix pour demander la levée de l’état de siège.

CG.: Certains observateurs soutiennent que cette mission d’évaluation n’est qu’un prétexte pour justifier la levée très prochaine de cet état de siège qui contrarie le projet politique de révision ou changement de la Constitution, car l’article 219 de cette constitution interdit toute révision en situation d’état de siège. Quel est votre commentaire ?

N.K.O. : Difficile de sonder le cœur de l’homme. Car même l’enfer est pavé de bonnes intentions. Les partisans de la levée de l’état de siège n’ont pas commencé aujourd’hui leur demande. Ils ont même commandé des t-shirt pour faire entendre leur voix. Est-ce que le Chef de l’État veut en tirer profit ? Je ne saurai le dire. Si tel est le cas, alors qu’on n’arrête de l’exiger pour qu’il n’y ait plus de prétexte. Voyez que ce n’est pas facile. Les Congolais ont de mauvais réflexes sur beaucoup de sujets d’intérêt national. Ces mauvais réflexes conduisent souvent à la manipulation des consciences là où il faut traiter avec sérénité les problèmes de la nation.

CG. : Cette (nouvelle) évaluation vient à la suite de plusieurs autres dont la plus récente et importante avait eu lieu lors d’un forum à Kinshasa qui avait formulé plusieurs recommandations dont la plupart n’ont pas encore connu un début d’application. Question : cette nouvelle mission d’évaluation de l’état de siège est-elle opportune et sur base de quoi ?

N.K.O. : A dire vrai, on n’a jamais évalué avec sérieux l’état de siège. Au Palais du Peuple, c’était le spectacle désolant de deux groupes opposés qui criaient à tue-tête chacun tirant la couverture de son côté. La décision de l’état de siège était plus technique et sécuritaire. On ne discute pas les choses sérieuses d’une nation dans un forum où on ne maîtrise pas les tendances des uns et des autres surtout quand presque toutes les institutions du pays sont quasiment infiltrées.

(Goma. Le Lieutenant-général Constant Ndima, gouverneur militaire du Nord-Kivu avec son staff de l’état de siège. Archives Les Coulisses).

CG. : Qu’est-ce que les précédentes évaluations de l’état de siège ont apporté par rapport à son objectif de pacification de la partie orientale du pays ?

N.K.O. : Elles ne pouvaient rien apporter de concret dès lors que les bases ont été faussées dès le début. En principe, l’évaluation devrait consacrer la prise en compte de l’opinion publique en tant qu’acteur à part entière du conflit, en même temps que le ralliement des intellectuels à cette cause pour le bien de la nation. Malheureusement, on jette le discrédit sur la bonne volonté du Garant de la nation. Car, la légitimité de cette décision est à rechercher dans le souci de ramener la paix et de défendre l’intégrité du territoire national. Ce qui signifie que tout le monde devrait accompagner ladite décision. Mais, quand elle va à l’encontre des intérêts mercantiles de nombreuses personnes qui ont fait de la violence un business lucratif, c’est normal qu’elle soit combattue. Ce sont eux qui manipulent les autres.

CG. : Selon vous, pourquoi doit-on combattre une décision qui serait bénéfique au pays ? Par rapport à la situation sécuritaire actuelle et aux efforts diplomatiques et militaires en cours, notamment avec la présence de la SAMIRDC, à quoi devrait-on logiquement s’attendre après cette évaluation, et cela par rapport aussi aux précédentes évaluations ?

N.K.O. : Pour comprendre tout ce bruit autour de cette mesure, il faut se poser d’abord la question capitale : « Quelle est la perception que nous avons des FARDC à l’est du pays ? » Aussitôt que le Président de la République a lancé cette idée, il a perdu. Son gouvernement n’a aucun contrôle sur les médias notamment ceux opérant à l’est du pays. Comme avec les FARDC, la guerre qu’on a commencé à perdre, c’est celle de l’information, l’arme absolue.

Pour comprendre ma pensée, prenons l’exemple du général-major Jean-Pierre Kasongo Kabwik du Service national. Tant qu’il travaille sans médias, il fait du très bon travail. Il suffirait que les ONG occidentales et les médias à leur solde s’y intéressent, tous les efforts seront anéantis. Vous avez compris comment le président Tshisekedi a perdu la guerre puisque le contrôle de l’information à l’est lui échappe totalement.

Concernant la SAMIDRC et la MONUSCO, il faut les ignorer malheureusement ils sont sur notre territoire. Je suis convaincu que le président de la République reçoit des pressions pour le maintien de toutes ces forces sur notre sol. J’ai démontré dans mon livre « Les rébellions rwandaises au Kivu. Une stratégie de la balkanisation du Congo », tout un arsenal de lobby du business qui gravite autour de la MONUSCO depuis plus de 20 ans. Il faut avoir des nerfs solides et entrer en conflit avec les grandes puissances pour les faire partir. Là encore, les grandes puissances se sont constitué des lobbies à l’intérieur de notre pays comme des taupes.

En clair, tout dépend de la prise de conscience des Congolais.

CG. : Par rapport à la situation sécuritaire de l’époque, l’état de siège était-il la mesure appropriée pour y faire face ? Et aujourd’hui, par rapport à la nouvelle configuration, l’est-il toujours ?

N.K.O. : C’était une décision salutaire. Le Chef de l’État a dû consulter certains notables et autres personnalités des provinces concernées. Malheureusement, il y a trop d’hypocrisie. Sa bonne foi a été mise à rude épreuve. Aussitôt la décision prise et l’argent décaissé, il y a eu détournement de près de 20 millions de dollars $ qui devaient accompagner cette mesure. Incroyable, c’est au niveau des FARDC à Kinshasa. Et comme on est dans la manipulation, l’équipe de l’Inspectorat général des FARDC qui menait les enquêtes avait été mis hors d’état de nuire.

 

(Le lieutenant-général Johnny Luboya, gouverneur militaire de l’Ituri lors d’une adresse à la population. Archives Les Coulisses).

CG. : Qu’est-ce qui, selon vous, devrait entrer prioritairement en ligne de compte pour juger de l’opportunité de la levée ou pas de l’état de siège : l’administration des provinces globalement ? L’encadrement des recettes et leur gestion ? La gestion des activités militaires au front qui relève des administrations militaires ?

N.K.O. : Vous avez bien fait de parler par paliers. Contrairement à ce que l’on peut penser, chaque partie (tout en étant dans une province) a des réalités très particulières. Sur le plan de l’ennemi à combattre, des recettes et de leur gestion. En Ituri, le conflit repose sur deux réalités, le conflit interethnique dans Djugu et le terrorisme islamiste dans Irumu et Mambasa. Cela demande deux approches différentes. Dans le Nord-Kivu, il faut prendre en compte aussi deux ou trois paramètres. Le Grand Nord avec ses milices ethniques, la fraude douanière et le terrorisme islamiste des ADF/MTM. Au sud de la province, il y a la RDF/M23, la fraude douanière mais aussi la lutte de cohabitation par groupes de pression interposés ainsi que la gestion de la province par l’alternance ou par la loi de la majorité ainsi que les déplacés de la guerre. Je ne saurai développer les stratégies sur la place publique.

CG. : Mis à part le clientélisme politique dans le chef de certains acteurs politiques, il est apparu – et il persiste encore à ce jour – une profonde divergence des vues dans l’approche et la compréhension, non pas seulement de la situation sécuritaire à l’Est (nature, origine, cause et solutions préconisées) entre le pouvoir central et certains acteurs politiques majeurs des provinces concernées. Plusieurs rencontres ont même eu lieu entre des acteurs et les hautes autorités du pays, y compris le Chef de l’État. Comment pensez-vous que ces divergences puissent être aplanies ?

N.K.O. : C’est normal au regard des intérêts divergents et du manque de patriotisme pour certains. L’est du pays est un monde à part qui échappe au contrôle total de Kinshasa. Cela participe au processus de la balkanisation souhaitée par les grandes puissances. Il y a une forte manipulation de la jeunesse dans la rue et dans les groupes armés. C’est un peu comme ce que le cardinal Fridolin Ambongo a fait dimanche 24 novembre à Kinshasa en établissant un parallélisme entre la modification de la Constitution, le chômage des jeunes et les embouteillages. Cette manipulation est assise sur la haine et la colère, de puissants leviers des engagements politiques parce qu’on veut soumettre les jeunes à sa volonté d’haïr. Dans les deux cas, les jeunes ignorent qu’ils sont manipulés et on leur enlève la liberté de jugement. Il n’y a que la conscience d’appartenir à une même nation qui peut résoudre cette problématique. Elle permet à chacun de défendre la nation en danger. Elle fait défaut chez nombreux notables, à tous les niveaux. Ce venin attaque toute personne qui tient à sortir le pays des sentiers battus, à gérer autrement la RDC.  Entretien avec Jonas Eugène Kota/Congoguardian 25 novembre 2024 © Rédaction Les Coulisses.

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