RDC/Ituri. Des tueries sur la base d’un conflit interethnique qu’on refuse de gérer
(Les frères Ituriens de la Task Force otages dans le camp CODECO)
Le mercredi 16 février 2022, de Yalala, un village situé à 2 km de la cité de Bambu, en chefferie des Walendu/Djatsi, un audio d’un membre de Task Force alerte l’opinion que 6 membres de la délégation Task Force en mission de sensibilisation auprès d’URDPC/CODECO sont faits otages. Un deuxième audio de l’URDPC/CODECO demande à la population de se calmer, car les 6 personnes prises en otage sont leurs frères et ne sont pas en danger. L’audio ajoute que les 6 personnes sont sécurisées parce que le gouverneur militaire voulait tuer Thomas Lubanga, le coordonnateur de la Task Force. Toutefois, ils conditionnent la libération de ces derniers par le respect de leur cahier de charges, la libération de tous les éléments de l’URDPC/CODECO arrêtés et enfin le départ du gouverneur militaire : « Les 6 personnes prises en otage se portent bien, les démarches pour leur libération sont en cours, mais nous demandons avant tout le départ du gouverneur militaire. » Des photos des « otages » tout souriants sont publiées aux côtés de leurs ravisseurs et des femmes.
En date du 14 février 2022, la coordination de la société civile de l’Ituri (SOCIT) emboite le pas à l’URDPC/CODECO et donne un ultimatum de 10 jours au Chef de l’État pour qu’il relève le gouverneur militaire, le Lieutenant-général Johnny Luboya Nkashama.
L’URPDC/CODECO demande à la population de l’Ituri de soutenir la société civile pour le départ du gouverneur militaire. Motif : il empêche le rétablissement de la paix en Ituri. La Task Force appuie la décision de la société civile et apporte son soutien à cette dernière pour le départ du gouverneur militaire. La Task Force, la société civile et l’URDPC/CODECO parlent le même langage et sont complices dans l’insécurité qui sévit en Ituri. L’une des preuves pourrait être le refus de se faire accompagner des policiers détachés pour sécuriser la coordination de la Task Force. La Task Force est composée du président de l’UPC Thomas Lubanga (Coordonnateur), Floribert Ndjabu (adjoint), Pichou Iribi (porte-parole), Germain Katanga (adjoint) et deux colonels membres.
Pour rappel, dans la nuit du 1er au 2 février 2022, des déplaces de Rhoo ont été sauvagement massacrés par la milice Lendu CODECO. Le gouverneur militaire dépêchera la Task Force pour un enterrement digne de ces personnes innocemment massacrées dans le site des déplacés.
Que s’est-il passé pour en arriver à la prise d’otages d’une délégation est entièrement composée des originaires des deux communautés Lendu et Hema, y compris d’autres fils du territoire de Djugu ?
Conflit Hema-Lendu. On tourne le dos à la solution
Dans le territoire d’Iumu, la contestation des limites entre le secteur des Bahema sud et la chefferie des Walendu Bindi en constitue un des éléments essentiels. Les autres communautés, subissant les dommages collatéraux, ont fini par monter aussi leurs milices. Dans les années 1979, le ministre de l’Agriculture de l’époque a assuré la distribution des concessions abandonnées par les colons à des Hema considérés désormais comme de nouveaux colons. La guerre de l’AFDL va accélérer les procédures d’acquisition des documents frauduleux. En 1998, grâce à l’inattaquabilité des certificats obtenus, commencent les opérations de déguerpissements de populations rurales tout autant surprises. La guerre commence dans la collectivité des Walendu-Pitshi. Les populations Lendu voient venir des concessionnaires Hema revendiquant des terrains frauduleusement acquis à travers des certificats d’enregistrement entachés de vice de procédure et se fondant sur la Loi Bakajika. Ils bénéficient du soutien du Parquet de Bunia et de l’UPDF. C’est le détonateur de la guerre de l’Ituri.
« Lorsqu’un homme, par ailleurs sain d’esprit, se transforme en tueur, on peut parler de folie. Mais lorsque le phénomène se reproduit au sein des cultures différentes dans un pays, chez les adeptes de toutes les religions comme chez ceux qui n’en professent aucune, dire « folie » ne suffit pas » écrivait le journaliste d’investigation Nicaise Kibel’Bel Oka dans son livre « Ituri. De la guerre identitaire au pillage des mines d’or de Kilo-Moto par les multinationales anglo-saxonnes », Ed. Scribe/Bruxelles, 2016. Car, la « folie meurtrière » écrit Amin Maalouf, est cette propension de nos semblables à se muer en massacreurs lorsqu’ils sentent leur tribu menacée ». Le moral d’une communauté dépend de la certitude qu’éprouvent ses membres que leurs propres besoins et intérêts seront satisfaits et demeureront s’ils collaborent avec les autres (pages 46-47). A-t-on depuis résolu le conflit sur la base de laquelle les communautés Hema et Lendu se livrent une guerre sans merci à travers un terrorisme hystérique basé sur des croyances fétichistes ? Personne n’a voulu écouter l’alarme du journaliste. Dans les villages, ils se haïssent mais font semblant de vivre en harmonie dans les villes. A la base : le conflit foncier alimenté par l’Église, les notables et les politiciens qui se sentent « politiquement » diminués. Les massacres se déroulent dans les territoires de Djugu et Irumu où cohabitent Hema et Bbale. Chaque communauté dispose des chefs de guerre pour la défendre. Depuis Thomas Lubanga, Floribert Ndjabu, Pitchou Iribi, Germain Katanga, Cobra Matata, Yves Kahwa Panga Mandro, l’histoire de l’Ituri se répète en bégayant. Dans cette navigation à vue, ni les Ituriens moins encore Kinshasa n’a tiré les leçons du passé. Les Lendu revendiquent leur forfait publiquement, les autres agissent en silence.
Une réponse cartésienne loin des réalités africaines
Les Occidentaux avaient cru bon proposer le remède à la Descartes. Il consistait à prendre, à part égale, dans chacune de deux communautés en conflit, des locataires pour la Cour pénale internationale à La Haye. Rien n’a changé. Rien ne pourra changer car le problème est ailleurs. Il est posé sur base d’une compétition meurtrière pour la survie de chaque communauté. Les appellations de milices varient selon les saisons mais finissent par les rattraper. Aujourd’hui, ils se nomment FPIC, CHINI ya KILIMA, ZAIRE, Milice d’autodéfense G5, CODECO, ajouter aussi les maï-maï. Tous ces groupes armés ethniques menacent le processus de paix. Au vu et au su des notables mais tout en cherchant à imputer la faute à l’État central. Ce sont des identités meurtrières qui s’affrontent depuis des décennies. Au nom de leurs communautés. Les prisons à Bunia et à Kinshasa sont remplies des combattants de la guerre identitaire. A Bunia, ils peuvent attaquer la prison, libérer les leurs. Et la guerre continue. Ne pas prendre cette donne, c’est ne rien comprendre. C’est continuer à gaspiller de l’argent de l’État et à compter les morts et les déplacés. C’est enfin tourner en rond et prendre la république pour des imbéciles.
S’entretuer sans témoins
Au Kivu comme en Ituri, les communautés ethniques ont coutume à s’affronter sans vouloir la présence des témoins. Elles adorent s’entretuer loin des regards indiscrets et diabolisent toute personne extérieure au conflit. Au début de la guerre de l’Ituri, Thomas Lubanga et Yves Kahwa s’offrent les services de l’Ouganda, puis convolent avec le Rwanda. L’Ouganda déçu de la présence du Rwanda, branche Yves Kahwa à Mouammar Khaddafi. A La Haye, tous les protagonistes s’arrangent pour mettre tout sur le dos de Joseph Kabila. Il en est de même dans le Grand Nord comme dans les Hauts et Moyens plateaux. Ces guerres n’ont pas besoin de témoins extérieurs. Ceux qui ont créé le conflit sont aussi capables d’y mettre fin. Le contraire étonnerait.
Nicaise Kibel’Bel Oka et Jean-Anaclet Muhemedi Kongolo
Centre d’Etudes et Recherche Géopolitiques de l’Est du Congo (C.E.R.G.E.C)