Au-delà de l’axe Brazza-Kigali, Omer Nsongo invite les Congolais à se souvenir de l’Opération Artémis
(Kigali. Les présidents Paul Kagame et Denis Sassou trinquent pour une nouvelle ère de coopération entre le Rwanda et le Congo-Brazza. Photo tiers)
Dans sa livraison du 28 juillet 2023 intitulée « Congo B., Rwanda, Ouganda… Quand Total Energies brûle la démocratie avec du pétrole et du gaz », Nicaise Kibel’Bel Oka du journal Les Coulisses, spécialisé dans les informations en rapport avec les Grands Lacs, analyse la visite d’État effectuée du 21 au 23 juillet 2023 par Denis Sassou Nguesso au Rwanda. Il révèle le rôle du géant français du pétrole Total Energies dans la situation sécuritaire dans la sous-région. Sait-on seulement qu’à chaque rendez-vous du donner et du recevoir où elle participe, la RDC brandit les enjeux politiques lorsqu’on lui oppose des enjeux économiques ?
« Hier Elf aujourd’hui Total Énergies, la multinationale française est au centre de la politique de la France en Afrique. C’est elle qui impose aux décideurs politiques français la politique à suivre sur le continent africain. Le Congo-Brazzaville est sous la coupe de cette multinationale depuis des lustres (…) », écrit Nicaise Kibel’Bel Oka.
« L’Ouganda est sous la coupe de la multinationale française. La France forme des éléments de l’Uganda People’s Defence Forces (UPDF) appelés ‘Brigade de montagne’ pour protéger l’exploitation pétrolière du lac Albert_», poursuit-il.
« Dans leur extension, les islamistes MTM ont rejoint Ansar al-Sunnah au Mozambique avec lequel ils forment IS-CAP, la province Afrique centrale de l’État islamique. Le 23 mars 2019, les islamistes Al Sunnah ont attaqué la ville de Palma où le groupe français Total a installé son projet gazier », relève Nicaise Kibel’Bel.
Constat : pour combattre ce mouvement insurrectionnel, la France recourt à l’armée rwandaise déjà opérationnelle au Congo-Brazzaville et en Centrafrique (voisins de la RDC).
Faut-il noter qu’en séjour au Bénin quand il a revendiqué une partie du territoire congolais, Paul Kagame a offert les services de son armée aux pays ouest-africains en proie aux groupes islamistes (Mali, Burkina Faso etc.). Ce n’est pas un fait du hasard si ces pays sont des ex-colonies françaises où la France est actuellement malmenée. Cependant, au travers de ces trois extraits, Nicaise Kibel’Bel circonscrit la géostratégie de la multinationale française au Congo-Brazzaville (ex-colonie française), en Ouganda (ex-colonie britannique) et au Mozambique (ex-colonie portugaise).
Comme toujours (…) la RDC se met à la traîne
Au pays où la diplomatie a des sautes d’humeur, faute de constance et de suivi, combien sont-ils, les rd-congolais, à se souvenir encore de l’ Opération Artémis menée par la France en Ituri en juillet 2003 pour mettre fin au conflit intercommunautaire congolais Hema-Lendu survenu dans ce coin du pays quasiment en duplication du conflit intercommunautaire rwandais Hutu-Tutsi survenu au Rwanda en 1994 ?
L’Ituri – pour ceux qui ne le savent pas – est le premier district congolais (sous protectorat officieux ougandais entre 1999 et 2003) à avoir réclamé en 2009 son érection en province , et cela en référence à l’alinéa 1 de l’article 226 de la Constitution du 16 février 2006 selon lequel « Les dispositions de l’alinéa premier de l’article 2 de la présente Constitution entreront en vigueur endéans trente-six mois qui suivront l’installation effective des institutions politiques prévues par la présente Constitution ». Il est devenu province à part entière en 2015.
Mais, 13 ans auparavant, une guerre civile atroce va surgir entre Bantous et Nilotiques (Lendu et Hema) ayant pourtant toujours vécu ensemble, guerre rappelant celle de 1994 entre Bantous et Nilotiques (Hutu-Tutsi) qui justifia l’intervention française via l’Opération Turquoise. Les Hema sont des Nilotiques, les Lendu des Bantous.
Ainsi, entre 1994 et 2023, la France est intervenue en RDC deux fois au Nord-Kivu et en Ituri, provinces au cœur de grosses tractations diplomatiques et sécuritaires. La question, toutefois, est de savoir pourquoi 2003 avec Opération Artémis ?
Géopolitiques et géo stratèges ont la réponse : pétrole du lac Albert. Lac commun à la RDC et à l’Ouganda. Exactement comme le pétrole de la côte maritime Atlantique commune à la RDC et à l’Angola. Exactement comme le gisement gazier du lac Kivu commun à la RDC et au Rwanda.
Comme toujours autour des gisements transfrontaliers, la RDC se met à la traîne.
Prenons le cas de l’Ituri avec le lac Albert. La RDC n’est pas sans savoir que Total Énergies (ex-Elf) est en train d’investir pour USD 5 milliards la construction du pipeline Ouganda-Tanzanie-Kenya sur plus de 1.443 km. Le gisement pétrolier du lac Albert n’ayant pas de tracé frontalier dans les profondeurs, on se rendra compte, le moment venu, qu’une bonne partie du pétrole disponible côté RDC aura été aspirée par l’usine de pompage Total Energies installée côté Ouganda, sans peut-être une contrepartie proportionnelle pour Kinshasa. L’Ouganda a déjà revendiqué et pris une partie de l’île de Rukwanzi depuis les accords de Ngurduto. Lorsque dans 5, 10 ou 20 ans la RDC cherchera à monter une structure d’exploitation du même pétrole, ses réserves se seront forcément amoindries. Elle se contentera d’un éléphant blanc !
Révélation terrible …
Évidemment, la préoccupation se devine : que fait le Congo de toutes les ressources dont il est doté ? Comme pour la Parabole des Talents en Matthieu 25 :14-30, la réponse a tout du péché congénital du mauvais serviteur.
Tenez !
En 2018, sous le titre 17 mai vu de Bunia, l’autre enjeu du Congo – article écrit pendant un séjour de 4 mois au chef-lieu de l’Ituri – cette réponse a été puisée dans l’article intitulé Les pionniers de l’indépendance zaïroise, édition 249-250 de la revue scientifique Zaïre-Afrique parue pour les mois de novembre et décembre 1990.
En pages 479 à 484, la revue fait état de l’existence des deux tables rondes organisées à Bruxelles en prévision de l’Indépendance : la « CTRP » (Conférence de la Table Ronde Politique) tenue du 20 janvier au 20 février 1960 et la « CTRE » (Conférence de la Table Ronde Economique, Financière et Sociale) tenue du 26 avril au 16 mai de la même année.
Au sujet de la deuxième conférence, l’article renseigne que la Belgique avait aligné 5 ministres, 40 conseillers venus de différentes ministères fortement impliqués dans l’administration coloniale, en plus de 22 parlementaires représentant les socio-chrétiens, les libéraux et les socialistes.
De la délégation congolaise, voici ce qu’en rapporte Zaïre-Afrique : « La Table Ronde économique accueillit quarante-trois délégués des partis congolais avec leurs treize conseillers, dont la plupart étaient des Belges. Elle admit aussi huit délégués du Collège Exécutif Général et cinq membres de la Commission politique avaient été installés pour associer les Congolais à l’exercice du pouvoir à l’échelon du gouvernement général à Léopoldville et du ministère du Congo à Bruxelles ».
La revue souligne que « La Table Ronde économique fut surtout une conférence des lieutenants des partis et des suppléants de janvier, animée du côté congolais par de jeunes universitaires_» dont Marcel Lihau, Evariste Loliki, André Mandi, Joseph Mbeka, Paul Mushiete et Albert Ndele.
Que faisaient, mieux où étaient alors les leaders politiques communément appelés « Pères de l’Indépendance » ?
Révélation terrible : « Les chefs des partis étaient préoccupés par la campagne électorale proche et par leurs fonctions au sein des collèges exécutifs » ! Ils couraient déjà après les postes politiques, négligeant la donne économique.
Et nous de conclure : « 58 ans après, qu’est-ce qui a changé ? La constante est là : chaque fois que le Congo veut aborder la seconde question (…), certains de ses filles et fils s’offrent aux puissances étrangères pour ‘promouvoir’ la première question, cette fois en avançant des concepts nobles comme ‘Etat de droit’, ‘Droits de l’homme’, ‘Démocratie’. On peut alors le parier : cela va durer encore une soixantaine d’années tant que le Congolais n’aura pas compris que sa véritable force, c’est dans l’Indépendance économique, financière et sociale. Celle-là même dont tous les Etats modernes préservent les acquis malgré et parfois contre les soubresauts caractérisant la politique ».
Le problème n’est pas Kigali. C’est Kinshasa
Pour revenir à l’article ayant inspiré le titre principal, le constat malheureux est que la RDC a fait le choix de la mauvaise vocation : à chaque rendez-vous du donner et du recevoir, elle brandit les enjeux politiques alors qu’on lui oppose des enjeux économiques !
Puissance économique en raison de la diversité de ses ressources naturelles qui intéressent pourtant toutes les puissances du monde, Kinshasa pratique la mendicité pour obtenir le peu de considération diplomatique qu’on lui refile d’ailleurs en consolation.
Résultat lamentable : elle tremble à la seule image de voir Kagame et Sassou en aparté. Ou Museveni et Lourenço se serrant la main.
Pourtant, on n’a nécessairement pas besoin de conflit armé pour gagner une guerre. Ou de vociférer pour effrayer l’adversaire. Il faut au Congo-Kinshasa de bons négociateurs pour « vendre » le pays à l’extérieur, c’est-à-dire le rendre incontournable à tous les rendez-vous économiques et financiers.
Si, année après année, les statistiques de la City (Londres) ou de la Bourse de New York continuent de passer le Rwanda pour principal exportateur africain du coltan, c’est que le problème n’est pas Kigali. C’est plutôt Kinshasa dans son obstination à se mettre en marge.
Au lieu alors de s’énerver du fait de la rencontre Sassou-Kagame à Kigali, les Congolais doivent commencer par se demander s’ils connaissent seulement la théorie de la Malédiction des ressources naturelles développée par Richard Auty en 1990 et s’ils en ont pleinement conscience. Apparemment… non !
Omer Nsongo die Lema
@omernsongo E-mail : omernsongo2@gmail.com
Facebook : Omer Nsongo
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