RDC. Léonard Kanyamuhanga :  » Les tensions qui déchirent notre pays prouvent que le Congolais n’est pas prêt à céder une seule portion de son territoire « 

(Goma 2 août 2000. La foule rend les derniers hommages à Kanyamuhanga et ses enfants (dont Obed prononçant les mots d’adieu) inconsolables avant l’enterrement. Archives Les Coulisses).

 Comment résoudre les diverses tensions qui secouent l’Afrique singulièrement les populations de l’Est du Congo ? Comment leur faire accepter le bien-fondé de la double intégration régionale politico-économique devant la peur de la balkanisation du pays ? Face à l’actualité et la réalité de la vie qui nous renvoie le miroir brisé des tensions, nous republions cette interview nous accordée par le gouverneur du Nord-Kivu, Léonard Kanyamuhanga Gafundi. Il aborde toutes ces questions sans détour et avec lucidité et insiste sur la

solidarité et l’interdépendance des peuples. Ce qui pourrait donner matière à ceux des compatriotes instrumentalisés par les voisins contre la RDC.

 Les Coulisses : M. le gouverneur, avec toutes ces guerres sur notre territoire, ne craignez-vous pas la balkanisation du Congo ?

Léonard Kanyamuhannga Gafundi : Je n’ai jamais cru un seul instant à la balkanisation du pays.  Au contraire, toutes ces guerres de résistance prouvent que le peuple congolais n’est pas prêt à céder une seule portion de son territoire, fut-elle minime.

L.C. : Une certaine opinion croit pourtant que le Rwanda y tient mordicus ?

LKG. : Rwandais ou Ougandais se ravisent aujourd’hui qu’il faut changer la vision des choses au Congo et surtout éviter d’être trop compromis. Il y va surtout de l’intérêt du Rwanda qui a été trop diabolisé. Il va sans dire que la capacité du peuple congolais à sauvegarder et protéger la terre de ses ancêtres est une volonté ancrée- croit-on passive mais en tout cas réelle.

L.C. : Comment interprétez-vous les appels pressants du peuple à l’égard de la rébellion la poussant à la signature du cessez-le-feu ?

LKG. : Pour le peuple congolais, la guerre signifie rupture, séparation et une criante fondée de voir le pays, quant aux frontières héritées de la colonisation, voler en éclat. D’où cette mobilisation qui est en même temps vécue comme une sorte de prière, d’invocation des mannes des ancêtres à ce que la guerre finisse. Le peuple congolais est jaloux de sa terre. C’est une réalité indéniable et universelle. Voyez le Kosovo, le Timor oriental, la Tchétchénie, etc…

L.C. : Peut-on affirmer que le peuple congolais n’aime pas le peuple rwandais ?

LKG. : Pas du tout. Il faut faire la part de choses entre le politicien (véreux) et le peuple. Vous étiez à la soirée culturelle organisée à la BDEGL, dites-moi si le peuple congolais avait refusé d’applaudir la troupe rwandaise. Les indépendances africaines avaient leur négation, c’est d’avoir oublié totalement l’interdépendance et la solidarité. Or, la solidarité est, en réalité, l’identité des Africains. Il y a des populations à cheval sur chaque frontière de nos États. Fallait-il en quelque sorte ratifier la balkanisation de l’Afrique et rejeter pour ainsi l’unification sous régionale ? Que non. Les guerres postcoloniales comme celle du Rwanda, du Congo, de l’Éthiopie, de l’Angola réduisant l’Africain au rang de l’ennemi de l’Africain est une entorse à la solidarité. (…) Linguistiquement, le swahili, par exemple, renforce cette interdépendance et l’on doit chercher à créer une économie de l’interdépendance avec un réseau fiable de communication. Appelez le globalisation ou village planétaire comme vous le voulez. L’Africain enraciné et indéracinable le nomme volontiers solidarité.

L.C. : En clair, vous êtes prêt à dire aux Congolais : « embrassez-vous avec les Rwandais et vivez en harmonie ? » Cela résoudrait-il les conflits interethniques du Kivu ?

LKG. : C’est ce que nous faisons d’ordinaire. Ce n’est pas seulement et uniquement avec les Rwandais mais les Ougandais, les Burundais, les Angolais. L’indépendance doit se plier aux exigences de l’interdépendance. Malheureusement, souvent c’est dans les locaux climatisés que les politiciens le font. L’exemple de la SADC grâce à laquelle il y a eu un effort vers la signature des accords de Lusaka est un mauvais exemple parce qu’il n’implique pas encore les populations de la région.

L.C. : Puisque l’Afrique est aujourd’hui une banque de tensions de toutes sortes, quelles en seraient les causes ? Le politiques, l’ethnie, le leadership ?

LKG. : (…) Le politicien utilise abusivement un discours sur l’unité nationale or il se fait en secret le complice des manipulations tribalo-ethniques. Le paradoxe, c’est qu’aussi oser remettre en question l’intangibilité des territoires hérités de la colonisation signifie jeter de l’essence dans le feu. N’importe quel État est prêt à se battre avec son voisin pour une question de territoire. Personne ne peut se réjouir de se débarrasser d’un seul m2 de son territoire. Laurent Kabila s’est servi de cette idée sacrée de l’intégrité du territoire congolais pour inoculer le sentiment anti-rwandais.

L.C. : Ce lourd tribut de notre passé devient alors un guet-apens ? Que faut-il envisager pour sortir de ce goulot d’étranglement ?

LKG. : C’est ici que le politique devrait jouer un grand rôle. Sa tâche serait de canaliser toutes ces tensions et ces mécontentements de la population en un effort constructif. Il doit chercher à faire naître la confiance et l’espoir et établir une réelle coopération économique et politique régionale. (…) La qualité et l’honnêteté de l’élite africaine se basant sur la tribu rendent les tensions davantage plus graves. Chaque tribu a ses revendications. Les guerres actuelles sont une sorte e réaction contre le système de gouvernement qui ne peut satisfaire les besoins psychologiques et matériels des peuples africains. D’où frustration et colère. C’est le moment de prendre le côté positif de ces tensions, les transformer pour générer la paix et la prospérité.  Autrement, on sera dans ce cycle infernal de guerre et de destruction.

L.C. : Est-il facile alors de créer ce grand ensemble lorsque les voisins pillent nos richesses au vu et au su de tous ?

LKG. : Transformer la dépendance en interdépendance n’est pas chose aisée ni facile. Car ce passage devra se faire sous la contrainte d’énormes pressions psychologiques nées de la volonté d’un peuple à s’affranchir. Évidemment quand la fraude et la contrebande utilisées par un voisin sont comprises par les populations victimes comme une sorte de « libre échange à sens unique », le discours sur le grand ensemble sous régional ne mobilise plus et devient un leurre. Tout cela explique le pourquoi de l’existence de cette grande tension et ce manque de coopération dans nos régions. Personne n’y croit. Surtout pas les populations meurtries.

Cette interview à bâtons rompus a été réalisé en novembre 1999 par Nicaise Kibel’Bel Oka, in Les Coulisses N° 73. Décédé le 31 juillet 2000 après une longue maladie, le gouverneur Léonard Kanyamuhanga Gafundi a été enterré le 2 août 2000 au cimetière qui porte depuis son nom et qui a résisté aux laves du volcan Nyragongo de 2002.

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Nicaise Kibel’Bel Oka

 

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