Grands Lacs/État-major intégré. F. Tshisekedi découvre la difficulté de ramener la paix au Kivu

(Le Chef de l’Etat congolais, Félix-Antoine Tshisekedi et son homologue Paul Kagame dans les rues du Rwanda. Photo tiers)

Ventre mou de la région des Grands Lacs africains, le Kivu le restera encore pendant des années. Aussitôt que l’État-major des Forces armées de la RDC (FARDC) a proposé un plan de paix à travers des opérations militaires avec six partenaires dont ses quatre voisins de l’est, une levée de boucliers sur fond d’un nationalisme à rebours a été constatée.

La première réaction est venue d’un député du Nord-Kivu, membre du parti politique UNC. Ce dernier a directement traité cette proposition d’une « grande

bêtise ». Une deuxième réaction est venue d’un ancien vice-gouverneur du Nord-Kivu, qui a adressé une lettre ouverte au Chef de l’État pour lui  signifier sa désapprobation. La troisième réaction est venue des Hutu rwandais de la diaspora (gouvernement rwandais en exil) qui disent craindre que Kagame et Tshisekedi fassent une épuration des Hutu rwandais qui se trouvent sur le sol congolais. La quatrième réaction aussi  musclée a été exprimée par un député national élu de la ville de Beni, membre du parti RCD/K-ML dont on connaît la position sur les FARDC, lors de l’émission « Dialogue entre Congolais » de la Radio Okapi. La Radio Okapi a bien joué aussi son rôle, celui de donner le micro à des Congolais pour s’en prendre à cette décision. Toutes ces critiques sur ladite proposition a permis ce qu’on a nommé avec ironie le « rétro pédalage » des  Forces armées de la RDC.

Contrairement aux autres pays voisins qui avaient bien apprécié cette proposition, l’Ouganda est le seul de nos voisins à ne pas disposer des rebelles sur le sol congolais (les ADF ne sont pas des Ougandais mais un groupe terroriste islamiste). De bouts de lèvres,  la MONUSCO a signé. Tout s’est passé comme avant. Et comme avant, les mêmes députés nationaux du Kivu et la même MONUSCO (à travers des rapports des experts) tirent à boulet rouge sur les FARDC. Ils crient à qui veut les entendre que l’armée congolaise ne fait rien, les officiers sont corrompus et qu’il vaut mieux être défendu par les milices ethniques que par les forces loyalistes.

L’État-major FARDC, désabusé, rétro pédale

Comprendre, c’est saisir, pénétrer le phénomène à partir de la (bonne/mauvaise) volonté des uns et des autres. Qui dit découverte, dit dévoilement, révélation d’un fait inconnu ou caché mais déjà existant. La découverte suppose une idée neuve, originale et féconde. L’État-major général de notre armée a tôt fait et bien fait de convoquer en juin 2019 une conférence sur l’insécurité dans la région de Beni singulièrement sur la nébuleuse ADF/MTM. L’État-major général des FARDC a eu le temps de comprendre cette problématique. Parce que, pour notre armée qui a essuyé autant de critiques et qui a perdu tant d’hommes au front, la compréhension était un besoin ressenti.

L’État-major général des FARDC a compris qu’une bonne partie de l’élite politique du Kivu n’a pas besoin que la paix revienne dans cette partie du territoire national. Il a aussi compris qu’une certaine élite politique qui tire sur les FARDC est connectée aux pays voisins avec qui elle joue aux entrepreneurs de la violence. Enfin, l’État-major des FARDC qui avait compris qu’il y avait nécessité de mutualiser nos forces avec nos voisins si on tenait à une paix dans le Kivu, a jeté l’éponge. A l’heure de guerres asymétriques, ce plan d’un État-major intégré poursuivait deux objectifs, à savoir mutualiser les forces grâce aux renseignements et aux moyens logistiques dont les drones militaires à fournir par AFRICOM et également enlever tout prétexte à nos voisins d’entrer anarchiquement sur le territoire congolais à la poursuite de leurs compatriotes. Voilà l’origine de ce plan d’un État-major intégré.

Être intelligent, c’est avoir le sens des problèmes, c’est-à-dire de la complexité des choses qui se font autour de nous. C’est aussi comprendre la situation et les autres, saisir la marche des événements. La proposition d’un État-major intégré permettait d’entrer dans le point de vue des autres, nos voisins, les forces négatives et les opérateurs de la violence et de prendre une longueur d’avance sur les faiseurs de violence. Mais les FARDC doivent faire face avant tout à des ennemis internes qui manient avec aisance et professionnalisme l’arme de la désinformation et de l’intoxication. Et voilà qu’à travers des prises de position contradictoires, l’État-major général de notre armée a eu peur et a reculé. Il nie désormais ce souci de s’ouvrir aux partenaires qui était la quintessence du plan d’un État-major intégré. Il crie partout que l’armée nationale se battra seule pour mettre fin aux groupes armés qui écument l’est alors que les FDLR sont au Congo depuis 1994, les opérations Sukola I durent depuis 2014, les milices ethniques foisonnent depuis la nuit de temps. Certains de nos compatriotes ont insufflé la peur à notre armée, la peur fondée sur une paranoïa du Rwandais plus fort, plus intelligent que le Congolais. Voilà où nous en sommes.

Félix Tshisekedi ou la bonne foi mise à rude épreuve

On ne peut pas raser la tête de quelqu’un à son absence, dit un adage de chez nous. Lorsque le Président de la république entame les tournées dans la région des Grands Lacs, chez nos voisins, les voix s’élèvent pour condamner cette nouvelle façon de faire de la politique. Il est vite accusé de vendre le pays au Rwanda et d’être à la solde de Joseph Kabila. Juste pour le détourner et le dérouter dans ses élans de voir la paix au Kivu. Certains Kivutiens, passés maîtres en diabolisation, ne veulent pas de la paix dans le Kivu. Le désordre leur sert de survie en politique. En effet, la violence engendrant et entretenant l’insécurité est un paradoxe à  l’est de la RDC. Il n’y a aucune volonté de la part des acteurs connus et ceux opérant dans l’ombre, les tireurs de ficelles de mettre fin à la violence, et partant, à l’insécurité. Chaque communauté ethnique a au moins une milice armée officiellement pour la protéger du méchant voisin. Le discours est bien connu : « Nous n’avons pas envoyé des gens pour nous défendre. Ils le font par leur propre initiative ». Joseph Kabila est tombé dans ce piège de l’ethnie comme dispensatrice de violence et n’a pas pu se relever au point qu’après 18 ans de pouvoir, la RDC a vu croître le nombre de groupes armés.

Félix Tshisekedi a été contraint à un rétro pédalage. Ce qui n’augure pas une fin heureuse de l’insécurité. La réussite de Félix Tshisekedi tout comme son échec dépendra de la façon avec laquelle il va gérer ce phénomène d’insécurité chronique et permanente. S’il est faible dans la sanction et dans la stratégie, il trouvera sur son chemin les mêmes premiers contestateurs du plan d’un État-major intégré. Et comme Joseph Kabila, il perdra définitivement l’est du Congo.

(Cet article retardé de diffusion avait été écrit en novembre 2019 au moment où les états-majors s’étaient réunis à Goma pour monter un état-major intégré).

Nicaise Kibel’Bel Oka

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