J.-B. Malenge : « La communication sauvera cette Afrique qui souffre de manque de communion et de communauté «
Jean-Baptiste Malenge, prêtre, journaliste, enseignant et chercheur en communication, vient de publier un livre au titre interpellateur « La communication sauvera l’Afrique », Edition Baobab, Kinshasa 2022. En ces temps des Nouvelles technologies de l’information et de la communication et des facultés des sciences de l’information et de la communication un peu partout dans les universités de la RDC, il est plus que nécessaire de décortiquer la « philosophie de la communication » dont ce prêtre en a fait l’une de ses préoccupations après la prière et l’apostolat. Il a accepté volontiers d’accorder une interview à la Rédaction du journal Les Coulisses que nous publions en deux parties. Découvrez la richesse de sa pensée.
Les Coulisses : Père Jean-Baptiste Malenge, dans votre récent livre, vous êtes convaincu que « La communication sauvera l’Afrique ». De quelle la maladie souffre l’Afrique dont le remède serait la communication ?
Jean-Baptiste Malenge Kalunzu : A tout prendre, l’Afrique souffre essentiellement du manque de communion et de communauté. Il s’agit du problème de la cohésion, de l’intégration. Ces termes et les différents concepts qui en fournissent des synonymes couvrent la même réalité que celle que l’Eglise catholique appelle « communauté, communion ». Quels que soient les vocables, les langues et les contextes, l’Afrique attend de voir ses fils et ses filles se reconnaître comme des humains appelés à vivre ensemble pour le bonheur de tous et de chacun. L’Africain attend aussi d’être reconnu au-dehors comme un être humain. La communication permettra cette reconnaissance malgré les préjugés et les complexes d’infériorité et/ou de supériorité.
La communication vient guérir de cette maladie en permettant de vaincre la méconnaissance qui divise ou qui empêche la communion. On ne reconnaît pas ce que l’on ne connaît pas. Et une chance extraordinaire de guérison se présente aujourd’hui mieux qu’hier grâce aux technologies de la communication de plus en plus performantes et accessibles. Hier, on parlait de la fracture numérique, du fossé entre l’Occident et l’Afrique ou entre les villes d’Afrique et les villages. Aujourd’hui, cette fracture se réduit, et de partout, on peut assez facilement communiquer pour se faire entendre, se faire voir, se faire reconnaître sans demander ni l’autorisation ni les faveurs des autres. Il suffit d’un peu de moyens et surtout de la connaissance et de la volonté de communiquer ce que l’on est, ce que l’on peut pour le bien commun de l’humanité.
L.C. : Les Nouvelles technologie de l’information et de la communication sont-elles aujourd’hui une panacée ou un naïf enthousiasme, puisque comme hier avec le téléphone fixe, l’Afrique n’a pas rattrapé le retard ?
J.-B. M : Il n’y a pas de retard à rattraper si l’on ne considère que les moyens de communication. C’est bien l’écueil à éviter. A chaque période et à chaque peuple est donnée la possibilité de communiquer. C’est ce qui fait l’humain en tant qu’être créé par Dieu avec cette spécificité. Les moyens « traditionnels » ou « modernes » de communication se révèlent simplement comme des « prolongements techniques de l’homme », comme l’avait dit, dans les années 1970, le sociologue canadien Marshall Mc Luhan. La particularité de notre époque vient du « progrès rapide » constaté déjà par le pape Jean-Paul II peu avant sa mort en 2005. Oui, l’ère de la communication moderne introduit de nouvelles technologies avec tout le potentiel du numérique ou digital. L’apport de Google, de Whatsapp ou de Facebook dans la vie du Congolais est déterminant aujourd’hui même s’il n’y a pas d’étude sociologique circonstanciée à ce sujet. En ne considérant que les vingt dernières années, on peut constater combien le développement du téléphone portable et surtout du smartphone aura changé les pratiques et les idées du Congolais. Sur sa fiche d’identité, on lui demande de plus en plus son numéro de téléphone. Bientôt, il aura besoin du téléphone intelligent pour accéder à la connaissance du monde. J’ose avancer que la guerre de la rébellion de l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo (AFDL) en 1996-1997 n’aurait pas réussi une année plus tard, lorsque l’internet a atteint la RDC. Le mouvement rebelle du Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD) en sait quelque chose. Il a pataugé, buté notamment sur les dénonciations instantanées de ses massacres par la « société civile » qui usait du téléphone portable et de l’internet naissant.
Mais l’être humain reste le même. La question fondamentale de la relation humaine, c’est-à-dire de la relation entre deux sujets, deux libertés, deux êtres humains, reste la même. C’est la philosophie qui le rappelle ainsi. Et la philosophie de la communication me permet de rester vigilant, sans naïveté, sans enthousiasme inconsidéré.
Nous devons sans cesse, en Afrique et partout ailleurs, nous éduquer, nous former à cette vigilance. La critique fait de nous des êtres raisonnables. Sans cette vigilance, on tomberait dans la naïveté, on devient la proie facile des médias sociaux mensongers, manipulateurs…
Les fakenews qui sont présentés comme une pandémie aujourd’hui ne sont rien d’autre que les conséquences de ce manque d’attention vis-à-vis de la réalité de soi-même, de l’autre personne à qui l’on communique et de la réalité dont on parle non parce qu’on récite une leçon comme un perroquet mais parce qu’on tâche d’avoir une prise sur cette réalité. Il est vrai que l’homme change aujourd’hui dans sa façon de vivre le temps et l’espace. Les distances se réduisent, les temps se compriment. Et parfois, on croit rêver. Dans beaucoup de villages, voir quelqu’un vous parler en whatsapp vidéo n’est rien d’autre que la magie voire la sorcellerie. Les temps changent, les croyances changeront aussi petit à petit.
L.C. : Vous dites que l’Afrique refuse aussi de considérer la réalité, préfère l’ignorer et s’ignorer. Un peuple complexé peut-il être sauvé par la communication ?
J.-B. M. : Non, un peuple complexé ne se sauvera pas par la communication. Mais comment sortir du complexe d’infériorité ou de supériorité ? Je plaide pour que l’exercice de la communication et l’éducation à la communication permettent justement de prendre conscience de soi-même et de l’autre, de se définir soi-même et d’entretenir une relation responsable avec l’autre. C’est la voie de sortie, de guérison des complexes.
Si j’en réfère au niveau des relations internationales, par exemple, je ne peux qu’exiger alors et promettre que la communication oblige à établir la justice et l’égalité, la symétrie entre parties au dialogue dans tous les contextes. Toute la difficulté de cette éducation à la communication consiste pour l’Afrique à convaincre sur le fait que l’Africain est un être humain comme un autre. Cela paraît évident à dire, mais le comportement quotidien révèle combien les préjugés négatifs sur l’Africain lui-même sont bien ancrés, bien trop coriaces. Dans notre pays, nous avons connu la philosophie politique de l’authenticité du président Mobutu pour nous rappeler notre dignité d’humains semblables aux autres, mais reconnaissez que nous sommes aujourd’hui, comme peuple, encore bien trop complexés. Regardez la tête plus que la peau de la plupart des Congolaises : en public, elles changent de race, elles ne veulent ressembler qu’à des blanches aux cheveux lisses. Et personne n’en a honte.
De même, je me demandais, jusqu’à peu, pourquoi des radios communautaires du pays préfèrent relayer des informations de médias étrangers ou de la capitale Kinshasa plutôt que de fournir à leurs auditeurs des nouvelles locales qui puissent aider à se situer pour mieux se comporter dans la vie. Il s’agit bien, ici aussi, du complexe d’infériorité. Je m’en suis rendu compte dans le cadre des formations assurées pour le Centre de Recherche et d’Education en Communication (CREC). C’était aussi le cas lorsque j’étais secrétaire de la Commission des communications sociales de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO).
Il faut bien une génération pour obtenir un changement de mentalité, nous disent les psychologues. Il faut commencer, entreprendre cette tâche de conscientisation, et l’optimisme pousse à penser que l’Africain finira par se prendre en charge pour le bénéfice de toute l’humanité. La conscience générale semble, en tout cas, de plus en plus ouverte au sens de l’universel, de la mondialisation à partir du particulier, du local. (La 2ème partie dans 48 heures. Ne la ratez pas svp).
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Interview réalisée par Nicaise Kibel’Bel Oka