mardi, décembre 10, 2024
Défense & SécuritéDiplomatie

Opérations « Shujja » contre les islamistes MTM. 3 ans après, l’UPDF doit se retirer du Congo et renforcer le contrôle à ses frontières

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(Entrée à Kasindi/Congo du contingent des soldats ougandais pour des opérations contre les islamistes ADF/MTM. Archives)

Le 30 novembre 2021, les troupes de l’armée ougandaise entraient sur le sol congolais avec des équipements lourds sans en informer au préalable l’armée congolaise qui, mise devant un fait accompli, alla quand même les accueillir. En terme clair, l’on peut affirmer que l’opérationnalité de l’architecture commune de lutte contre les islamistes MTM ne s’est pas faite. D’une part, l’UPDF formée et équipée par les Français (Mountains brigades), sûre de ses atouts et de l’autre, les FARDC moins équipées.

Le déséquilibre était réel dans la lutte contre les islamistes MTM. A ce déséquilibre, il fallait noter l’inadéquation des moyens logistiques et des failles en termes d’organisation du front. Les FARDC crurent bon de nommer un général coordonnateur des opérations qui finit par quitter le front sans crier gare. C’est dans ces conditions que virent le jour les opérations militaires conjointes dénommées « Shujja ».

Dans cette lutte contre le terrorisme ADF/MTM, l’UPDF venait comme Hercule. Elle péchait contre le principe de contre-terrorisme selon lequel : « On n’utilise pas un tank pour attraper une souris. Un chat serait plus efficace ».

La percée du terrorisme des ADF/MTM s’est appuyée en partie sur la faiblesse de deux États à contrôler leurs frontières et a abouti à l’érection des poches d’insécurité dans les « zones grises » du Ruwenzori qui leur permettent d’étendre leur influence et de coordonner assez aisément les opérations. Mais également sur une mauvaise connaissance de l’ennemi.

La connaissance de l’ennemi n’est pas juste une pile de données sur le terroriste mais une fine perception de l’ennemi dans un cadre espace-temps défini. Hier confinés dans le triangle Kamango/Watalinga –Bashu/Mwalika –Eringeti/Kainama dans le Ruwenzori (territoire de Beni), les islamistes MTM ont réussi à semer la terreur dans les villes et agglomérations du Grand nord (Nord-Kivu) mais surtout à étendre leur influence dans le territoire de Lubero et dans les territoires d’Irumu et Mambasa, en province de l’Ituri.

L’autonomie stratégique de la RDC

L’autonomie stratégique d’un État se définit dans sa corrélation entre puissance économique, souveraineté en matière de défense et indépendance politique. La possession des ressources propres autorise à opérer des choix autonomes en matières de défense et de protection du territoire. Cela implique la capacité de donner sa propre définition de la menace, de donner ses priorités et de conduire ses choix tactiques. Tout cet arsenal fait partie de l’autonomie stratégique. L’exemple nous est donné par l’Ouganda qui, à travers son armée, s’est positionné le long du couloir stratégique pour éloigner la menace et sécuriser ses approvisionnements en matières stratégiques en RDC (café, cacao, bois et autres) et le pétrole sur le lac Albert.

Il est anormal que jusqu’à ce jour, la RDC n’a pas une définition claire de l’ennemi terroriste qui sévit sur son sol. Ce, malgré les travaux du journaliste Nicaise Kibel’Bel Oka. Comme il est impensable que les enseignants congolais des cours sur le terrorisme puissent tout le temps se référer aux définitions des chercheurs occidentaux pour une réalité qui a la couleur locale.

En trois années. Résultats mitigés. Les MTM sont toujours là

(Les officiers FARDC et UPDF à Kasindi pour une évaluation des opérations Shujja. Archives).

Les opérations Shujja utilisent le même mode opératoire que Sukola I dans ses débuts (Bauma et Mundos), c’est-à-dire elles procèdent par des bombardements qui dispersent l’ennemi. Cette difficulté est due à notre manière à penser la menace terroriste, à la comprendre et à l’anticiper. Ce qui lui donne une longueur d’avance sur les actions militaires.

Cela est dû surtout à la passivité des opérations militaires. Les FARDC et l’UPDF ne mènent pas ou assez d’actions offensives ciblées sur les noyaux terroristes préalablement identifiés et localisées. De deux, elles sont dans la posture statique (immobilisme) qui est une stratégie inadaptée et peu productive dans une guerre qui exige à tout moment de la mobilité.

Les terroristes MTM appliquent bien les deux critères de l’asymétrie, à savoir l’irrégularité et la mobilité (imprévisibilité et surprise) en se déplaçant en petits groupes très mobiles d’un lieu à un autre. Conséquence attendue : ils sont de plus en plus rusés, aguerris et plus difficiles à capturer ou à neutraliser. Ils ont la capacité de régénérescence, d’adaptabilité et de reconstitution après des revers subis. Repli ou dissimulation quand surviennent des bombardements. Les terroristes MTM cèdent du terrain, se disloquent, se désagrègent momentanément ou se fondent dans la population.

Ils continuent de recruter au-delà des frontières. Lundi 24 novembre 2024, le lieutenant-colonel Mak Hazukay, porte-parole des FARDC annonçait la capture de deux femmes burundaises avec enfants au front. Enfin, comme un défi, ils signalent et signent leur présence par des attaques d’une rare cruauté. Ce qui signifie clairement que les opérations militaires Shujja ont montré leurs limites. On avance en tâtons sans une claire vision de la stratégie à adopter.

Le contre-terrorisme en lieu et place de l’antiterrorisme

La menace terroriste des moudjahidine de Madina at Tauwheed wal Muwahedeen (MTM) a été bien implantée avant le lancement des opérations (Sukola I et Shujja). Cette longue période d’incubation a été marquée par le refus de reconnaître les fameux ADF comme un mouvement terroriste attendant l’aval des États-Unis. Période éhontée qui a montré que les renseignements congolais étaient dépendants de ce que dirait la MONUSCO et son appendice GEC.

En 2018, invité par le Ministre de la Défense Atama Tabe et l’État-major général des FARDC, le journaliste Nicaise Kibel’Bel Oka a exposé ses recherches sur le terrorisme islamiste des ADF/MTM devant les auditeurs de la 3ème Promotion du Collège des Hautes Études de Stratégie et Défense (CHESD). En 2019, le Chef d’État-major général des FARDC, le général d’Armée Célestin Mbala a eu l’ingénieuse idée de faire un état de lieux du terrorisme et des opérations Sukola I. Au cours de ces échanges uniques par la qualité des intervenants, le journaliste Kibel’Bel Oka a mis à la disposition des participants son ouvrage intitulé « RDC. Les forces armées face à la guerre non conventionnelle » que le général Célestin Mbala a payé pour tous les participants.

Avec des publications révélatrices de la nature de l’ennemi, la RDC devait se constituer une banque de données sur le terrorisme, prendre des stratégies pour la lutte contre ce cancer métastasé et pourquoi pas l’enseigner à d’autres. Notre armée nationale serait l’une de mieux outillées dans les stratégies de contre-insurrection/contre-terrorisme.

Comme le conseille Jacques Baud, face à un ennemi de l’ombre, il faut distinguer deux styles d’actions dans la lutte contre le terrorisme, à savoir anti terrorisme et contre-terrorisme.  Et face à une menace déjà existante et bien implantée, il faut le contre-terrorisme. Pour mener des opérations contre-terroristes, il faut disposer d’une chaîne humaine de renseignement. Car, le renseignement guide les opérations et par conséquent, les opérations engagées sans information sur la nature de l’ennemi ne sauraient aboutir qu’à des actions de nul effet.

Malheureusement, les FARDC et l’UPDF mènent des opérations anti terroristes. De deux, nos militaires au front agissent toujours en mode conventionnel là où le mode non conventionnelle (asymétrique) est exigé. Ce mode (asymétrique) requiert davantage de discrétion, de célérité, de précision et d’efficacité.

Prendre le dessus sur l’ennemi à travers le renseignement

Une anecdote. En 2016, mes sources m’informent de l’arrivée de Mussa Baluku et Kisokeranyo, tous deux des commandants ADF/MTM dans la ville de Beni. Ils ont l’habitude de loger dans une résidence au quartier Mupanda avant de continuer leur tournée. Je me présente en locataire à la recherche d’une maison. La réponse est : « le propriétaire de cette maison déjà décédé revient régulièrement la nuit. Voilà pourquoi les locataires ne font pas plus de deux mois ». J’ai eu le temps d’avoir les données géographiques de la maison. Le défunt propriétaire n’est jamais revenu. C’est un alibi répandu. C’est une résidence de passage pour des grands commandants ADF/MTM. J’en informe le général commandant Sukola I. Vers 23 heures 45, nous faisons une reconnaissance du lieu. Je lui suggère de ne pas prendre des jeeps militaires pour ne pas susciter des craintes et alerter le gibier avec des véhicules militaires. Il accepte mais aussitôt que nous arrivons à hauteur du lieu, les véhicules escortant le commandant surgissent.

Conséquence. L’ennemi, voyant des véhicules des militaires tourner autour de la résidence, a quitté le lieu après notre départ pour passer nuit à la mosquée. Lorsque les FARDC arrivent vers 3 heures du matin, la maison est vide. Ils ne trouvent que de la paperasse. On venait de rater une grosse prise. Comment manœuvrer et avoir le dessus sur les forces adverses diffuses, invisibles et agissant de l’intérieur ?

Le monde du renseignement s’accommode avec la discrétion, le secret ou la clandestinité. Sans technique d’anticipation de risques et dangers, l’on ne peut jamais vaincre le terrorisme.

Pour le reste, il faut former des unités militaires à vocation anti terroristes, intégrer les schémas de prévention des populations contre le danger terroriste mais surtout mettre en place des structures dédiées particulièrement à la lutte contre le terrorisme et la mise sur pied des formations militaires spécifiques.

Conclusion

Le terrorisme est l’anti modèle du soldat et de la guerre conventionnelle. Bâtir une stratégie contre terroriste active si l’on tient à triompher de l’ennemi de l’ombre est un choix stratégique adéquate. Cela exige de faire du contre-terrorisme au lieu de l’anti terrorisme. Pour la simple raison que le contre-terrorisme emploie des mesures actives dont l’infiltration, l’élimination préventive de l’ennemi puisque la menace est déjà bien connue. Or, l’anti terrorisme emploie des mesures passives notamment des interventions et protections des populations.

Trois ans d’opérations conjointes face à un ennemi qui continue à défier deux armées conventionnelles en étendant sa zone d’opération, c’est un échec. Cet échec risque de conduire à l’enlisement. Surtout si l’ennemi entraîne les deux armées vers Kisangani.

Comme pour l’Afghanistan, il est temps que l’armée ougandaise (UPDF) quitte le territoire congolais et renforce le contrôle à ses frontières avec le Kenya et avec la RDC.

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Nicaise Kibel’Bel Oka

 

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