jeudi, décembre 12, 2024
Politique

Afrique. 60 ans d’indépendance dans l’engrenage des coups d’État

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Les coups d’État sont une pratique récurrente en Afrique. Bien que leur fréquence a diminué, ils sont cependant loin d’avoir disparu, en témoigne la destitution suivie de la prise en otage par les putschistes du professeur Alpha Condé, jusqu’à hier, président de la Guinée Conakry.

Depuis 1960, année d’accession à l’indépendance de beaucoup de pays africains jusqu’à nos jours, la prise de pouvoir de façon violente et illégale s’est érigée en règle d’or. L’inventaire fait état de plus de 270 coups d’État et/ou tentatives de coups d’État. Ce qui donne une moyenne d’au moins 9 coups d’État ou tentatives de coups d’État par an.

On se plaint souvent de la mainmise occidentale et des multinationales, cela est vrai dans une certaine mesure. Mais il faut reconnaître que l’absence de volonté politique ferme d’intégration et de développement, la mauvaise utilisation des ressources humaines, le manque de travail et d’épargne qui engendre la corruption, etc. sont autant d’ingrédients qui ouvrent la brèche à la manipulation de quelques élites par les puissances soucieuses de fragiliser et de paupériser sempiternellement l’Afrique.

Il n’est que secret de polichinelle que les coups d’État font partie des raisons qui empêchent le décollage du continent africain sur l’échiquier mondial et qui découragent la création des cadres institutionnels de coopération économique, de prise de responsabilité dans la recherche concertée de la paix et de la sécurité régionale ou sous-régionale. A travers une certaine naïveté politique caractérisée par l’incapacité de bâtir un véritable État de droit, d’organiser un espace démocratique et de mobiliser les forces de la nation dans un projet républicain commun, des puissances étrangères s’infiltrent pour créer la discorde entre les citoyens d’un État afin qu’ils entre-tuent. Ce qui leur permet l’immixtion récurrente dans les affaires internes des pays africains sous prétexte d’y apporter la paix.

Il est étonnant que l’Union africaine et les autres regroupements régionaux manquent de leviers de contrainte vis-à-vis des contrevenants aux dispositions statutaires, ceux qui transgressent les constitutions par des coups d’État itératifs.

À quoi servirait cette confédération d’États si l’UA se révèle incapable de résoudre les problèmes internes des pays africains en vie d’y établir la paix?

Après les dictatures sado-masochistes et cyniques au lendemain des indépendance, les dirigeants africains ont instauré une autre forme de dictature qui passent par des coups d’État constitutionnels au grand dam de la population. 

Le mal africain dénommé coups d’État se décline de deux manières: les coups d’État constitutionnels (soft power) et les coups d’État violents par les armes (hard power). La deuxième catégorie étant souvent le résultat de la première. 

En effet, la soif de demeurer indéfiniment au pouvoir conduit la majorité de dirigeants africains à des pratiques inacceptables. Parmi ces pratiques, retenons le «Coup d’État constitutionnel» qui est une violation ou un changement forcé, de manière cavalière et préméditée, des prévisions de la Constitution permettant de tirer des avantages indus. Ce cas est devenu presqu’ordinaire en Afrique. Les gouvernants ne veulent pas de l’alternance politique pacifique et civilisée. Ils tiennent à tout prix à demeurer «éternellement» au pouvoir, confondant la République à une ferme privée. Cet amour outrancier du pouvoir constitue l’une des principales causes des discordes intestines sur le continent africain. C’est également ce refus de l’alternance qui favorise très souvent, nonobstant les instigations extérieures, les coups de force pour l’usurpation du pouvoir. Et cela rend la paix incertaine. 

Il est devenu comme une jurisprudence qu’à la fin de leur mandat présidentiel, les chefs d’État africains modifient à leur profit quelques dispositions constitutionnelles en vue de s’offrir un mandat supplémentaire, au-delà deux mandats constitutionnels prévus (phénomène 3ème mandat ou mandat illimité). Et puisqu’ils savent déjà que leur situation les prédispose à la victoire, même frauduleuse pour la plupart de fois, ils prennent tous les arrangements possibles à remanier la loi suprême avec la bénédiction des parlementaires qui forment leurs clubs d’applaudisseurs en lieu et place d’être des vrais porte-paroles des citoyens.

Or, à tout moment, les dirigeants africains devraient prendre conscience de leur faillibilité humaine, de la multiplicité de talents parmi leurs concitoyens, eux aussi capables de gérer, et même mieux, la chose publique. 

La grande contradiction entre le désir individuel du pouvoir et le bien social entraîne inévitablement la radicalisation de la guerre civile, les mutineries successives et les coups d’État sanglants.

Les élections en elles-mêmes sont des facteurs de nouvelles crises. Elles sont, pour la plupart, émaillées de violence et des confrontations politiques, si bien qu’on peut affirmer qu’elles causent beaucoup de maux qu’elles n’en résolvent. Ces crises sont de nature à remettre en cause le bien-fondé desdites élections trafiquées d’avance, à cause de la mauvaise gouvernance. 

La période post électorale est ainsi un moment des victoires mortelles dans certains pays africains. Les appétits insatiables du pouvoir font que les gouvernants organisent des élections truquées par l’achat de conscience non seulement des électeurs en majorité analphabètes et paupérisés à dessein, mais aussi et surtout de ceux qui sont censés coordonner les opérations de vote.

Les résultats des scrutins éternellement contestés dans la violence vouent le continent africain à une éternelle tutelle des Nations-unies et des puissances occidentales qui se portent garants pour la résolution des conflits. La «recolonisation» et la stagnation du continent berceau de l’humanité sont, dans une certaine mesure, l’œuvre de ses dirigeants qui veulent se cramponner au pouvoir sans penser à l’intérêt collectif et au développement de leurs États, justifiant ainsi l’adage selon lequel « Chaque peuple a les dirigeants qu’il mérite. » 

Ludovic Nico Mumbunze est Directeur des Recherches Stratégiques au Collège des Hautes Études de Stratégie et de Défense (CHESD)/Kinshasa, extrait de son livre « L’humanisme politique chez Kant » , publié en 2014.

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