Géopolitique du pétrole. A qui Tshisekedi vendra les blocs I et II de Gertler afin d’équiper les FARDC?
(Goma. Échantillon de quelques armes dotées aux FARDC présenté au Lt-gén Ndima, Gou-Pro militaire du Nord-Kivu)
« Fais-toi une arche de bois travaillé. L’intérieur de l’arche, tu le sépareras en plusieurs compartiments et tu le calfateras par dedans et au dehors avec du bitume » (Gn,6-). Moïse aussi lui doit la vie : « Elle fit pour lui une nacelle de roseaux et l’enduisit de vase et de bitume et mit l’enfant dedans » (Ex, 2). Tous, tant que nous sommes, nous devons la vie au bitume. Pour le meilleur et pour le pire, le pétrole est devenu la condition de la survie des États. A qui Félix Tshisekedi confiera-t-il l’exploitation des blocs I (3612 km2) et II (3187 km2) du lac Albert dans une vision de doter les FARDC des équipements militaires ? Cette question relève aussi bien de la souveraineté nationale, de la paix dans l’est occupé par les ADF/MTM et les milices communautaires ainsi que de la survie de notre nation. Le Graben albertine partage avec l’Ouganda des blocs pétroliers adjacents gardant la structure géologique similaire dont la majeure partie se trouve du côté congolais. L’histoire récente du pétrole du Graben albertine est parsemée de violence ethnique sur base du mercenariat occidental. Depuis Heritage Oil qui vendit la licence d’exploration lui accordée par Kampala et les seigneurs de guerre congolais en passant par Tullow Oil/CAPRIKAT jusqu’à la coalition franco-chinoise Total-CNOOC, le pétrole du Graben albertine fait l’objet des convoitises. Le président Museveni s’est plaint un jour que ses marionnettes congolaises pistonnées à Kinshasa n’aient pu convaincre Joseph Kabila à faire les « affaires » avec son pays dans l’exploitation du pétrole du lac Albert. Impatient et avec l’aide des Britanniques, Museveni autorisa frauduleusement ses hommes de plonger dans le lac Albert et d’attacher des fils reliant les deux bords. C’était sans compter avec la vigilance des pêcheurs congolais qui sabotèrent tous les fils en les sectionnant. (Lire utilement Les Coulisses N°216 du 5 mai 2010). La France et la Chine restent toujours en attente d’un changement d’avis de Kinshasa.
Le gaz et l’appui logistique de l’armée française
La France n’est pas en reste. En tant que fille aînée de l’Église universelle, elle connaît la valeur de l’or noir. Le français Total a un immense projet offshore au large du Mozambique dans lequel il a investi plus de 20 milliards de dollars. C’est dans cette zone que sévissent les islamistes d’Al Sunnah qui forment avec les ADF/MTM la Province Afrique centrale de l’État islamique (IS-CAP).
En août 2018, les jihadistes se sont emparés de la ville de Mocimboa de Praia (80 km au sud de Palma) où sont basés des employés de Total. Depuis, les Français tentent d’établir un périmètre de sécurité de 25 km autour de leur base, quitte à envoyer des troupes ou à employer des compagnies de sécurité privées. Le 23 mars 2021, l’attaque de la ville de Palma abritant le projet gazier du groupe Total avait provoqué le retrait de tous les investisseurs étrangers du nord du pays. Les 17 mai et 18 mai 2021, le président Filipe Nyusi s’était rendu à Paris rencontrer le président Macron ainsi que le patron de Total.
Et depuis, par l’armée du Rwanda (RDF) interposée, la France combat les jihadistes d’Al Sunnah. Le bataillon rwandais de RDF bénéficierait de l’appui logistique et du renseignement tactique de l’armée française. Selon nos sources, cet appui passe par le canal de l’armée du Mozambique et de la SADC. Total prend aussi en charge les avitailleurs en carburant des engins déployés dans ces opérations. Bref, la France est impliquée mais pas officiellement dans les opérations contre les jihadistes d’Al Sunnah. Sans Total, ExxonMobil et China National Petroleum Corporation n’opéreraient pas non plus. Russes, Américains, Portugais, Espagnols et Sud-Africains ont offert leur assistance au Mozambique, écrit Caroline Dumay dans Le Figaro.
Le pétrole et la mutualisation des forces contre les ADF/MTM
Le 28 novembre 2021, l’armée ougandaise est entrée sur le sol congolais aux côtés des FARDC pour combattre les soldats du califat, les ADF/MTM. Cette zone occupée par les jihadistes, riche en pétrole, englobe les deux lacs Albert et Édouard. Tergiversations, corruption, légèreté dans la distribution des permis et amateurisme du gouvernement congolais pour une exploitation conjointe (accords de Ngurdoto) ont poussé l’Ouganda à signer avec le français Total et la China National Offshore Oil Corporation (CNOOC) des accords pour l’exploitation du pétrole du lac Albert, équivalent aux blocs I et II du côté congolais. Tirant profit de la violence légitime, l’Ouganda a signé des accords militaires avec la France consistant notamment en la formation des bataillons UPDF spécialisés dans des combats de montagnes. La division des montagnes combat aux côtés des FARDC dans le Ruwenzori et l’Ituri contre les terroristes islamistes MTM et les milices locales. Il n’y a pas de doute que la France ait doté l’UPDF en logistique et équipement comme avec la RDF au Mozambique. D’ailleurs sur le terrain, les FARDC se retrouvent en face d’une armée ougandaise mieux équipée et mieux outillée. Du côté congolais, il est clair qu’on n’a jamais vu la guerre sous l’angle des affaires, moins encore de bénéfices à tirer par et pour les FARDC. Aujourd’hui plus que jamais le Chef de l’État doit tenir compte de cet aspect dans la vente de deux blocs I et II libérés par Dan Gertler. Car, à moins de souffrir de cécité politique, avec un budget de 3,9% alloué à la Défense nationale dont la majeure partie va aux frais de fonctionnement et aux retro commissions, il est quasiment impossible de doter les FARDC des équipements et logistiques modernes afin de répondre aux menaces actuelles et à venir. Chaque nation qui découvre du pétrole et/ou gaz au large de ses cotes s’affranchit envers les gros producteurs, économise ses devises, réduit ses frais de transport, assure son approvisionnement en temps de guerre et se libère des crises politiques des pays producteurs. Américains et Français se sont livrés depuis dans la recherche de la paix du pétrole. Une paix sans moral, sans souci de l’humanité, écrivait l’Américain Archibalde Mac Leish. Tshisekedi ne doit pas confondre « impôts » et « redevances » et signer avec des majors du domaine, Total-CNOOC. De ce fait, on n’aurait plus besoin de la MONUSCO. Et finançant trois armées (UPDF, RDF et FARDC), les deux voisins ne pourraient plus déstabiliser la RDC. La paix à l’est serait-il à ce prix ?
Nicaise Kibel’Bel Oka
Directeur du Centre d’Etudes et Recherche Géopolitique de l’est du Congo (C.E.R.G.E.C)