RDC. La Surprise stratégique. Les leçons de Poutine sur l’invasion de l’Ukraine

( Kinshasa 2021. Les Présidents Paul Kagame (Rwanda) et Félix-Antoine Tshisekedi (RDC). Attention à la surprise stratégique. Photo tiers)

« Il me semble à l’évidence impensable de croire qu’un pays de la sous-région des Grands Lacs peut prospérer dans la paix et la sécurité et se stabiliser durablement tant que son voisin est en ébullition et surtout si ce pays sert de base arrière à des groupes armés ou encore en devient le parrain. » Le Chef de l’État de la RDC, Félix-Antoine Tshisekedi s’exprimait ainsi devant les diplomates congolais fin février 2022. Ce qui est impensable pour le Chef de l’État congolais relève de la logique des « Surprises

stratégiques ».  Et le monde est plein d’exemples concrets dont Poutine en sort aujourd’hui grand stratège. Les surprises stratégiques émanent des études sur le renseignement (intelligence studies) ayant pour but de relever les chocs à venir à partir de l’anticipation. Lorsqu’on interroge l’histoire récente du monde, l’on peut citer le cas du Soudan. En 1998, les autorités soudanaises informent les États-Unis qu’elles détiennent deux hommes soupçonnés d’avoir lancé des bombes dans les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie et sont prêtes à remettre une liste de 200 combattants de Ben Laden. Les États-Unis rejettent l’offre de coopération avec le Soudan et optent pour le bombardement de l’usine pharmaceutique d’Al Shifa. Le Soudan relâche les deux hommes. Le 11 septembre 2001, le réseau Al Qai’da attaque l’Amérique. En 2014, Poutine attaque l’Ukraine et annexe la Crimée à la Fédération de Russie. En 2016, Jacques Attali prophétise sur le scénario d’une attaque préemptive que Moscou lancerait contre l’Ukraine avant de songer à l’intégrer dans l’OTAN ou relierait l’enclave de Kaliningrad au reste de la Fédération de Russie. Comment a-t-on cru que Poutine avait abandonné sa stratégie payante de 2014 avec l’annexion de la Crimée ? En 2021, le président américain Joe Biden décèle dans le regard de Poutine cette volonté d’envahir l’Ukraine. En février 2022, le président français Emmanuel Macron visite Poutine mais ne sait pas lire les intentions de son hôte et repart avec une promesse de paix des braves.

Plus près de nous, le Rwanda de Paul Kagame offre des cas concrets de surprises stratégiques. En 2004, alors que le RCD/Goma occupe le poste clé de vice- président de la république chargé de la défense, Laurent Nkunda crée le CNDP et, avec Jules Mutebuzi, attaque Bukavu. Après la Conférence de Goma de 2008 qui consacre l’intégration et le mixage des troupes du CNDP dans les Forces armées de la RDC, le Rwanda crée le M23 avec le colonel Makenga. Ce, au moment où Joseph Kabila croyant préserver la paix dans la région, protège Bosco Ntaganda contre la CPI. A Beni, un journaliste est arrêté pour avoir dénoncé le plan du départ des colonels Sekopere Muhigo (jeune frère de Nkunda) et Richard Bizamaza. Lors de la conférence qu’il donne, Sekopere Mihigo fait cadeau de son écharpe au maire de Beni, Nyonyi Bwanakawa pour lui témoigner de son amour à défendre la RDC. Ils finiront par rejoindre le M23 en sabotant le dépôt d’armes des FARDC. La bonne foi de Joseph Kabila fut trompée malgré les assurances du Rwanda. En novembre 2021, alors que Félix-Antoine Tshisekedi joue les bons offices pour réconcilier Kagame et Museveni, les troupes spéciales rwandaises attaquent la colline de Tchanzu. Félix-Antoine Tshisekedi permet même à Paul Kagame de fouler le sol de Goma et de se rendre à Kinshasa. En février 2022, une nouvelle attaque est lancée. Paul Kagame sèche la 10ème session du mécanisme de suivi de l’Accord de paix d’Addis-Abeba tenue à Kinshasa. Contrairement à l’idée répandue et soutenue par les spécialistes du renseignement dont Laurent Numez, selon laquelle les surprises stratégiques ne se présentent jamais de la même façon, avec le même visage et les mêmes causes dès lors que le contexte évolue en permanence, dans le cas de Poutine et Paul Kagame, les surprises stratégiques obéissent à une obsession d’annexer une partie du territoire de son voisin. Les surprises stratégiques procèdent de l’anticipation qui est un facteur au cœur même de l’activité du renseignement, si pas sa raison d’être. Comment personne n’a vu venir Poutine au point de douter de ses intentions d’envahir l’Ukraine même deux heures avant ? Comment la RDC n’arrive toujours pas à lire les intentions avérées de Kigali d’envahir une partie de la RDC ? A force d’être trop concentré sur des objectifs identifiés, on en vient trop souvent à oublier de regarder devant soi ou de regarder dans le rétroviseur. Rien n’assure que le voisin ne va pas surprendre à l’approche des élections. Félix-Antoine Tshisekedi doit comprendre que depuis la chute du maréchal Mobutu, la RDC est dans une guerre de retard sur les visées de Kagame. Elle a besoin de l’anticipation entendue comme une capacité à devancer et à prévoir, donc à prévenir des événements futurs. Gouverner, ce n’est plus prévoir mais pouvoir agir. L’exemple de Poutine aidant, la RDC doit considérer le Rwanda dans son rôle de voisin aux visées expansionnistes. Félix-Antoine Tshisekedi, Commandant suprême des FARDC et garant de la nation, est appelé à prendre la mesure du danger, à renforcer l’État de siège,  équiper les troupes et les services du renseignement de façon à éviter les surprises stratégiques.

Nicaise Kibel’Bel Oka

Directeur du Centre d’Étude et Recherche Géopolitiques de l’Est de la RDC (C.E.R.G.E.C)

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