RDC. Journée internationale de la presse. Entre monologue et dialogue. L’info, pour qui?

(Kinshasa. Le ministre de la Communication et médias, Patrick Muyaya dans un dialogue actif avec le journaliste Nicaise Kibel’Bel Oka)

A travers le monde, singulièrement en RDC, les professionnels des médias commémorent la journée internationale de la presse. Boisson par-ci, conférence par-là mais aussi méditation. L’information pour qui ? C’est la question que je me pose toujours à chaque fois que j’écris un article. La mission du journaliste est un service à rendre à travers l’élaboration du regard critique (Marx). Du témoin-ambassadeur, le journaliste travaille avant tout et pour toujours pour un public, une collectivité. Son travail consiste à un rassemblement conflictuel de la communauté démocratique. A la fois comme pluralité conflictuelle et comme unité intégrée (Muhlmann). Entre

monologue et dialogue. L’information pour qui ? Si aucun des locuteurs, écrit le père Malenge, ne devient destinataire, il y a monologue. Le monologue peut s’adresser à plusieurs personnes sans que l’une ou l’autre ne réagisse parce que le locuteur est devenu lui-même le destinataire. Ou que le destinataire n’y trouve aucun compte de ce qui évoqué en son nom. Or, dans ce jeu qui fait du journaliste le 4ème pouvoir, il se place dans son rôle de spectateur face à l’acteur (les gouvernants) et à l’auteur (public) et joue la fonction d’informer et d’instruire au sujet de la réalité (R.E.Park). Le dialogue suppose que le journaliste rend le destinataire partenaire avec qui il crée le débat, il ressuscite le conflit en ramenant la communauté dans l’unité. D’autre part, le dialogue n’a véritablement lieu que lorsque les thèmes débattus sont immergés dans l’univers du public. Car, la situation du dialogue est forcément biface en fonction de ce qu’on transmet par rapport à la vérité des faits (les factuels). Un fait, c’est ce qui se voit ou peut être rendu visible par tous (en opposition avec ce qui se dit). La question me revient toujours. L’information, pour quelle communauté en RDC ? Quel est l’horizon d’attente de la population face au travail du journaliste ?

La reconnaissance du rôle du journaliste et de sa mission de contrôle et de conscience pour les gouvernants et rayon pour le public est aussi fondatrice de la société. Dans une démocratie, la presse en est le ciment en ce qu’elle crée le conflit dans l’unité. Ce qui crée cette relation de réciprocité entre le public et le journaliste. Le dialogue n’est dialogue que dans l’institution sociale. Et il n’existe de société que celle fondée par le dialogue en tant que reconnaissance de l’autre et par l’autre, souligne le père Malenge. La présence de l’autre se retrouve dans le discours du journaliste. La figure du journaliste se résume à ce regard qu’il pose sur l’actualité et l’expose à d’autres sur une scène publique. D’où la question simple : « En RDC et singulièrement dans les zones en conflits, quel est le discours du journaliste ? Sur quoi se fonde la matière du journalisme ? » Les réponses peuvent varier selon qui on est. Dans l’est de la RDC où le conflit se fait vie et survie, le journaliste est défini par rapport à… Au paradigme (analytique) de la production s’oppose celui (herméneutique) de la réception. Le journaliste donne-t-il (assez) la parole au public pour en faire un acteur politique dans un espace libéré ? Quel est le contenu de nos médias ? Quel genre de médias sommes-nous ? Médias de la paix, médias de réconciliation, presse armée ou médias de recentrement ? Au congrès de la presse, le Chef de l’État Félix Tshisekedi, accédant à la demande sur la dépénalisation des délits de presse, a appelé à la « salubrité des médias ». Ils sont insalubres. Sur ce point, tout le monde est d’accord. Géopolitique oblige. Le journal Les Coulisses s’est engagé seul depuis une décennie sur un thème aussi crucial qu’urgent, se faisant « médias spécialisé des questions de défense et sécurité » autour des conflits dans la région des Grands Lacs africains. Il semble que ce thème, non seulement ne paie pas mais surtout n’est pas accepté par les bailleurs des fonds occidentaux. Je me rappelle la dernière formation donnée à des confrères à Goma. A un moment, le débat a tourné sur le patriotisme. Les bailleurs ont soutenu que le journaliste (Congolais) devrait être au-dessus des lois de son pays et donner l’information sans faire allusion au patriotisme. C’est à quoi je me suis opposé avec des arguments en béton, appuyant le porte-parole des FARDC. Les bailleurs de fonds se sont refroidis sur ce sujet concernant le comportement du journaliste congolais face à son armée. Une autre question me taraude : « Si la majorité de journalistes de la RDC parlaient avec professionnalisme de l’insécurité chronique à l’est du pays, la paix serait-elle revenue ? Ne sommes-nous pas complaisants dans notre manière de présenter les faits sociaux qui fondent les conflits de l’est de la RDC ? Là encore, la même question : l’information, pour qui ? Au bénéfice de qui ? La communication boîte, renchérit le père Malenge, dès qu’elle est tronquée d’éléments nécessaires à la réciprocité, à la participation ou à la mutualisation. Or, les bailleurs de fonds (nous) interdisent d’aborder certains sujets. Qu’on se rappelle de Syphia Grands Lacs, débarquant avec des millions d’euros, avec son projet fou de réconcilier Rwandais, Congolais et Burundais. Il n’est pas malheureusement le seul à prêcher des médias de la paix, à interdire de parler réellement des problèmes liés au conflit dans la région. Il faut se mettre bien à l’évidence. Et Malenge le souligne avec pertinence : « le monopole de l’information est à l’avenant du monopole économique, dans les relations internationales. Il s’agit de vendre. » Les bailleurs de fonds ont mis la clé sous le paillasson s’agissant de la presse écrite. On peut parcourir tout l’est de la RDC sans trouver un seul journal papier depuis que le journal Les Coulisses (papier) connaît des difficultés de parution. La presse écrite disparaît avec assurance. Or, jamais la radio, moins encore la télévision (dans un pays qui manque totalement de l’électricité) et pire encore les réseaux sociaux ne sauraient remplacer la presse écrite (journal papier). La RDC est envahie ; envahie par des médias étrangers. Les agences d’information et autres médias transnationaux ont ouvert des bureaux en RDC notamment à l’est, servis par des Congolais mais la vision du monde et les règles de la géo finance et de la géopolitique déterminent le traitement de l’information dans l’interprétation, l’appréciation voire l’énoncé des faits. Au regard du comportement des uns et des autres, l’on peut se demander si le système médiatique en RDC serait une « colonisation intérieure ». Nos médias, malheureusement, accentuent la dépendance de l’étranger. Ce n’est pas à travers et grâce à nos médias que Dr Dénis Mukwege a obtenu le prix Nobel de la paix. Dr Jean-Jacques Muyembe ne l’obtiendra pas parce que les médias occidentaux ne l’ont pas jugé opportun.

L’information, rappelle Patrick Charaudeau, se construit comme un acte de transaction, reposant sur 3 conditions : supposer l’ignorance de l’autre, transmettre un savoir, supposer l’utilisation de l’autre de ce savoir. En créant chez l’autre cette envie d’agir. C’est ce que on enseigne : informer, former et divertir. A l’est de la RDC, zones de conflits, les radios ont gagné du terrain avec des programmes bien ciblés par les bailleurs de fonds comme le viol et la violence justifiant pour ainsi cette triste renommée de la capitale mondiale du viol.

Dans sa préface au livre de Frantz Fanon « Les damnés de la terre », Sartre écrit : « On y parle de vous souvent, à vous jamais ». Alors, l’information pour qui ? Les choses pourraient changer le jour où le journaliste congolais sera le concepteur de l’information pour sa collectivité, décidera de ne plus travestir la vérité des faits au prix de maintes entorses ou faire offense à la vérité entendue au sens de l’exactitude factuelle. S’ouvrir à l’autre. Car, l’ouverture à l’autre est une ouverture religieuse qui le reconnaît non seulement dans ses joies mais aussi dans sa souffrance.

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Nicaise Kibel’Bel Oka

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